La poterie, une école de vie !

Une publication plus personnelle… Quand on aime une activité, on ne peut pas lister toutes les raisons qui nous la font aimer, car on peut toujours ajouter un « pourquoi ? » aux « parce que ». Néanmoins, au fil des années, j’aime recenser les choses que j’apprécie dans l’art céramique, que cela concerne la technique elle-même ou la philosophie tout autour. Je ne citerai ici pas mes sources, mais je sais évidemment que je ne suis pas la première à les exprimer. Des phrases qui ont marqué ma mémoire … La conclusion est sans appel : la poterie, un école de vie !


La céramique est une union entre les 4 éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu, selon la théorie d’Empédocle. Ces éléments sont liés par deux principes : l’amour et la haine. Pour Héraclite, le feu est à l’origine de toute chose. En effet, la terre coopère avec l’eau pour former une poterie, qui sèche grâce à l’air et cuit dans le feu. Une terre sèche mais non cuite changera d’état si on la plonge dans l’eau. Le contrôle de l’atmosphère du four est essentiel lors de la cuisson en réduction. A chaque étape de la fabrication, un savant équilibre entre les éléments est nécessaire : pas assez de terre, le pot se brise ; trop d’eau, il s’affaisse ; séché trop vite, il se fend ; cuit trop vite, il se casse. Les éléments s’associent et préparent chacun l’action des autres. Je trouve cela très beau, c’est un retour à l’essentiel.

(C’est d’ailleurs sur cette réflexion que j’ai dessiné mon logo, avec les symboles et couleurs associés à chacun des éléments.)

Le tour tourne vite, mais mes mains vont lentement. C’est ce que me répétait la professeur qui m’a enseigné le tour. Ceci est un conseil d’ordre technique, mais j’aime y voir une métaphore. Le tour, c’est le monde, et la terre, c’est ma vie. Les mains me représentent par synecdoque. Le monde est en perpétuel rotation : il tourne sans que les mains ne contrôlent son mouvement, car on n’a pas prise sur la vitesse du monde. Les informations affluent à une vitesse incroyable, de toutes parts, les projets nous submergent et le temps nous manque, le monde essaie de faire face aux défis de son époque … Il y a de quoi avoir le tournis !

Le potier qui regarder la girelle peut aussi être pris d’un empressement, car la vitesse de rotation du tour l’emporte. Le mouvement de ses mains s’accélère, et le pot naît en dansant. De même dans nos vies, il s’agit de ne pas se laisser emporter par le mouvement trop rapide du monde, et avancer dans la vie consciencieusement, en évitant la précipitation.

On a l’impression que le tour, comme un manège, tourne plus vite lorsqu’on s’écarte du centre. Ainsi, en faisant son pot, plus on s’éloigne du centre plus le risque de voir son pot danser est grand, car nos mouvements sont plus difficiles à maitriser. De manière métaphorique, j’aime y comprendre que le monde tourne moins vite lorsque je me rapproche de mon « centre intérieur ». Cela n’a rien d’égoïste, il ne s’agit pas de se centrer sur soi, mais de trouver le centre en soi : se connaître, ses passions, ses désirs, ses aspirations, pour ensuite mieux aller vers les autres et le monde !

Il faut être centré soi-même pour centrer la terre. C’est aussi une leçon enseignée par la professeur qui m’a appris le tournage, mais j’ai pu le lire plus tard par exemple dans La sagesse du potier de Jean Girel (p.43) : « Je me souvenais alors de mon maître tournant sa centaine de pots à l’heure. Pour lui, la terre n’existait plus, tout simplement, et n’avait donc aucune raison de s’échapper du centre, qui était en lui et non sur l’axe du tour ». On s’en rend compte facilement : on tourne mal lorsque notre tête est pleine de soucis, de choses à penser, d’agitation. On arrive difficilement à centrer si l’on n’a pas un certain calme intérieur, qui s’exprime dans la terre par les mains. C’est en cela que la poterie a des vertus thérapeutiques.

L’imprévu du four !C’est très excitant de passer des heures à fabriquer un objet, puis de le confier au feu, fermer la porte, et attendre de pouvoir le sortir. Je n’ai pas d’atelier à moi, et je n’ai jamais assisté à un défournement. Mais j’aime particulièrement, lorsque je vais chercher un objet que j’ai fait, savourer les quelques secondes après l’avoir vu, et la surprise que cet objet suscite en moi. L’impression qu’il a beaucoup rétréci, la brillance des émaux, la couleur qui n’est pas tout à fait celle que j’attendais. Une seconde de surprise, quelques secondes pour le regarder sous toutes le coutures, et je l’adopte !

J’aime me dire que je n’ai pas le dernier mot sur ma création, que je confie l’étape finale à la Nature. C’est l’imprévu du four qui donne aux pièces tout leur charme : on a beau essayer de contrôler tous les paramètres de fabrication, c’est pour moi un plaisir d’avoir l’impression de découvrir, de rencontrer, une pièce sur laquelle j’ai passé du temps.

Les temps de séchage sont incompressibles. La poterie est un art ancré dans le temps. Il faut des jours pour que la barbotine redevienne terre solide. Vouloir sécher trop vite produit immanquablement des fissures. Il est risqué d’enfourner juste après émaillage. C’est parfois frustrant de devoir attendre des semaines pour utiliser une pièce qu’on a fabriquée la saison précédente, et parfois imaginée six mois auparavant… Mais c’est nécessaire, l’imagination n’en est que plus féconde. Contrairement à la peinture par exemple, c’est la technique de la poterie elle-même qui bride notre précipitation. J’ai de nombreux pots que j’avais imaginés d’une certaine manière, et que j’ai peints complètement différemment, inspirée par un panneau publicitaire, un rayon de soleil, un motif, ou la forme du pot elle-même, en l’ayant mieux observé après coup.

Tant que la terre est crue, on peut la remodeler à l’infini, aucune terre n’est perdue. Contrairement à une peinture, où on utilise une toile à chaque fois qu’on essaie quelque chose, la poterie offre la possibilité d’essayer, de rater, de recommencer autant de fois que nécessaire, sans aucun gaspillage. Là aussi, j’aime y voir une comparaison avec l’Homme. Tant qu’on n’est pas mort, on peut se remodeler à l’infini. Les situations ne sont pas immuable : on a toute la vie pour devenir qui on est. Et cela est valable autant pour soi que pour les autres : il ne faut désespérer de personne, car dans la boule la plus informe se cache peut-être le plus beau pot ! Il faut voir le tas de boue comme un chef-d’œuvre en puissance !

C’est la terre sèche que l’eau aime le plus. Quel plaisir que d’entendre cette petite crépitation que produit la terre sèche lorsqu’on verse de l’eau dessus ! On croirait l’entendre frémir de plaisir ! Et, en quelques minutes, la voir devenir barbotine et oublier sa forme initiale, en faisant corps avec l’eau qui l’absorbe … Ainsi en est-il, si vous êtes croyants, de l’action de Dieu sur les cœurs les plus secs. L’eau est nécessaire à la terre déjà humide, mais son action sur la terre sèche produit un résultat inattendu, et on y voit l’amour entre ces deux éléments, dans le sens de la théorie d’Empédocle.

Je suis comme une poterie ébréchée : je blesse car je suis moi-même blessé. Rien qui me plaise au sens propre, il n’est pas ici question de poterie. Cette phrase est particulièrement vraie dans les relations humaines, où le mal que l’on fait résulte bien souvent de nos souffrances. On transmet ce mal aux autres, parfois sans faire exprès et sans le vouloir : la poterie ébréchée n’a pas l’intention de blesser celui qui la manipule !


J’espère que ces quelques réflexions vous permettent, si vous êtes débutants, de comprendre tout se qui se joue dans l’art de la terre, et si vous êtes plus avancés, de poursuivre votre cheminement à ce sujet. Si vous voulez partager vos réflexions, ce sera un plaisir de lire vos commentaires !

Tu veux mieux comprendre tout ce qui se joue dans la poterie ?

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