Bernard Palissy, figure de résilience

L’histoire de la céramique est jalonnée de quelques grands noms de céramistes et de styles. Plus l’époque est éloignée de nous, moins on a retenu les noms des céramistes. Cependant, l’un d’eux a marqué l’Histoire : Bernard Palissy, figure de résilience. Parcourons ensemble l’histoire de cet intrépide chercheur, complètement fauché, qui a effectué des recherches d’émail pendant plus de vingt ans.

pièce en rustiques figulines de Bernard Palissy
Bernard Palissy, Musée du Louvre – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010096700

Pour des questions de lisibilité, je ferai figurer les citations en français actuel et non en ancien français. Cet article est un résumé du livre « De l’art de la terre, de son utilité, ses émaux et du feu » de Palissy.

Bernard Palissy naît en 1510. De ses 15 à ses 20 ans, il voyage beaucoup en France jusqu’aux Pays-Bas et emmagasine de nombreuses connaissances scientifiques et artistiques qui lui serviront par la suite. A l’âge de 25 ans, Palissy s’installe dans le village de Saintes et exerce trois professions : imagier, vitrier et géomètre. Il se marie, vit tranquillement, et un jour une coupe en poterie émaillée de blanc passe entre ses mains : c’est la révélation. A partir de ce jour, toute sa vie sera consacrée à la recherche d’un émail blanc. Il avait en effet entendu dire « que le blanc était le fondement de tous les autres émaux », ce qui est tout à fait exact ! Il partait au moins sur une bonne piste.

Bernard Palissy, figure de résilience : pourquoi ? En dépit des deux enfants qu’il a à élever, il se met en quête de cet émail mais ne connaît pas du tout la composition de base. Il commence alors à broyer à peu près tout ce qu’il trouve, notamment des poudres à base « d’étain, de plomb, de fer, d’acier, d’antimoine, de saphre, de cuivre, d’arène, de salicort, de cendre gravelée, de litharge et de pierre de Périgord ». C’est un travail éreintant : il utilise un moulin à bras qui nécessite normalement deux hommes pour être manœuvré.

Après avoir broyé toutes ses poudres, il les mélange pour fabriquer l’émail. Dans ce livre, il explique sa démarche scientifique et ses erreurs mais ne donne pas les compositions utilisées car il considère que cela doit relever d’un travail personnel : « Je suis d’avis que tu travailles pour chercher ladite dose, aussi bien que j’ai fait, autrement tu aurais trop bon marché de la science, et peut-être que ce serait la cause de te la faire mépriser ». De toute façon, même s’il nous avait transmis ses recettes exactes, on n’aurait probablement pas pu reproduire quoi que ce soit puisque l’intitulé de ses matières premières est assez vague. Cependant, cela aurait été intéressant de voir ses pérégrinations et la proximité de ses recherches avec ce qu’on fabrique de nos jours.

Il achète des poteries (sûrement des terres cuites) et les casse pour en faire des tessons : entre 200 et 300, selon ses dires, et note soigneusement la recette qu’il utilise pour l’émail dont chacun sera couvert. Au début, il fabrique donc son four de poterie et y cuit ses tessons, sans succès. Il confie ensuite ses tessons émaillés à un potier pour qu’il les cuise dans son four, mais la température atteinte n’est pas suffisante et l’émail ne fond pas. Quelle désolation ! Que d’années de confusion et de tristesse !

De plus, ses recherches étaient sans doute perturbées par l’inconsistance des matières premières et les impuretés qu’elles devaient sûrement contenir. Mais bon, il a fait avec ce qu’il avait, et c’est d’autant plus héroïque ! Sans le sou, il se refait alors quelques économies par son travail de verrier et de peintre. Sans perdre espoir, il recommence ensuite ses recherches. Il se tourne cette fois vers des verriers, dont les fours montent à plus haute température.

L’un de ses 300 tessons donne alors une couleur blanche éclatante, recherchée depuis tant d’années ! Il le vit comme un grand succès, mais cet émail n’est que sur un tesson. Il faut maintenant fabriquer les vaisseaux et le four verrier qui pourra les cuire à haute température. Bernard Palissy déconstruit alors son four de potier et le transforme en four verrier. Il cuit les vaisseaux en première cuisson, qui se déroule bien. La deuxième cuisson connaît moins de succès. Même après une cuisson de 6 jours et 6 nuits, l’émail ne fond pas.

Il se dit alors qu’il n’a peut-être pas assez mis de fondant. Or lancer un four (pas électrique, évidemment !) est très laborieux . « Il y avait plus d’un mois que ma chemise n’avait séché sur moi », c’est pour dire son état de transpiration ! Il continue donc de l’alimenter pendant qu’il va acheter d’autres tessons et qu’il les émaille avec sa nouvelle recette. A son retour, il n’a plus de combustible et brûle donc le parquet et les meubles de sa maison pour alimenter son four. Il note : « On se moquait de moi, et même ceux qui devaient me secourir allaient crier par la ville que je faisais brûler le plancher. Par tel moyen on me faisait perdre mon crédit et on m’estimait être fou ». On le prend même pour un faux-monnayeur !

Bernard Palissy doit ensuite fabriquer un vaisseau émaillé, puisqu’il a raté les précédents. Il embauche donc un « stagiaire » qu’il loge à crédit dans une taverne. Après six mois de travail, il n’a pas d’argent et le paye donc avec ses vêtements. Il construit son four, effectue sa cuisson, et le dé-maçonne pour l’ouvrir, en s’abîmant les mains. Mais malheureusement, des cailloux des parois du four ont sauté sur ses pièces, laissant des éclats coupants incrustés dans l’émail ! Les pièces si durement fabriquées sont donc inutilisables, invendables. Bernard Palissy se trouve très démuni d’avoir effectué tout ce labeur sans nulle récompense. Tout le monde se moque de lui, il n’a aucun soutien.

Après un épisode de déprime, comme après chaque échec, il se remet en selle et recommence. Cette fois c’est de la cendre qui se dépose sur certaines zones de ses pièces, donnant un aspect rugueux. Il imagine alors la cuisson en encastage, c’est-à-dire en gazettes, pour éviter ces défauts. Bernard Palissy rencontre aussi de nombreux problèmes de sur-cuisson ou de sous-cuisson. Il résume ainsi tout ce travail : « Bref, j’ai ainsi bastelé l’espace de quinze ou seize ans ; quand j’avais appris à me donner garde d’un danger, il en survenait un autre, lequel je n’eusse jamais pensé ». Par ailleurs, ses conditions matérielles sont très rudes, car il ne peut pas protéger son four et il est vulnérable aux intempéries, finissant parfois par dormir à la belle étoile lorsqu’il y a une tempête !


Je ne résumerai pas ici tout le reste de la vie de ce grand homme : il a eu de grand projets pour Catherine de Médicis, et a terminé sa vie en prison, car il a refusé de se convertir au catholicisme. Bernard Palissy, figure de résilience : combien d’échecs, seul, moqué de tous, sans le sou, avant de se faire connaître et d’être reconnu de son vivant ?

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