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L’argile est présente en de multiples endroits de la planète, sous forme de boue près des fleuves, de matière plastique sous nos pieds, ou encore de poudre dans les déserts. Issue de la désagrégation des roches, l’argile a un rôle primordial dans les écosystèmes. On peut presque parler de « cycle de l’argile », comme on parle du cycle du carbone ou du cycle de l’eau. Ainsi, quel est le rôle de l’argile dans les écosystèmes ?
Cet article s’appuie sur et résume le beau documentaire d’Arte « Secrets de roches – L’argile » (2022) réalisé par Christophe Cousin et Matthieu Maillet.
L’argile a un rôle important dans l’écosystème local. En suspension dans l’eau, d’abord, le trouble qu’elle provoque permet aux petits poissons de se cacher des prédateurs. D’autres espèces y trouvent leur nourriture. Ensuite, plusieurs espèces de mangroves poussent dans l’argile, flottent et rassemblent de l’argile dans leurs racines. La formation de nouvelles îles ne peut donc avoir lieu que grâce à l’argile.
Le quartier de Kumartuli à Calcutta est particulièrement actif lors des mois précédant la fête de Durga Puja. Des milliers de statues à l’effigie de Sarasvati, déesse du savoir et des arts, sont produites. La légende raconte que l’argile utilisée provient de l’entrée des maisons closes. Les clients y abandonnent leur pureté en essuyant leurs chaussures. Même si cette légende n’est plus prise au sérieux de nos jours, elle montre bien le lien fort qui existe entre le sacré et l’argile. L’argile utilisée provient en réalité du delta du Gange. Le sculpteur interrogé dans le documentaire voit en l’argile une manière de rendre grâce à son dieu. Il dit : « Ce sont les déesses et les dieux qui nous font venir au monde. Alors pour moi, c’est une fierté de pouvoir leur rendre leur beauté en les façonnant. »
Afin d’expliquer ses incroyables propriétés, les chercheurs observent l’argile à l’aide d’un microscope électronique à balayage (MEB). C’est une machine couramment utilisée en laboratoire, car elle permet d’observer des échantillons à des échelles très petites (de l’ordre du micron, soit un millième de millimètre). On voit très bien la structure en feuillets de l’argile : il s’agit d’un empilement de petites plaquettes, de taille de l’ordre du micron. C’est cette structure qui confère à l’argile sa plasticité : l’eau s’insère entre les feuillets, qui peuvent ainsi glisser très facilement les uns sur les autres. De plus, la petite taille de ces plaquettes permet d’atteindre un niveau de détail élevé. Enfin, la surface cumulée de tous ces feuillets représente plusieurs centaines de m². L’argile a une grande surface d’échange avec l’eau, et donc avec la vie.
L’argile a pour rôle de transporter et redistribuer les nutriments pour les espèces qui l’entourent. Sur Terre, la « zone critique » est définie comme étant la zone entre la cime des arbres et les nappes phréatiques. Même si elle ne représente qu’un tout petit volume par rapport à l’ensemble de la Terre, elle est primordiale car contient les animaux terrestres, les arbres, les rivières et l’air qu’on respire. L’argile se forme par altération de la roche-mère : les acides produits par les arbres participent à dissoudre cette roche et la transforment en argile. Ces arbres, enracinés dans l’argile, ont alors accès aux 15 minéraux dont ils ont besoin pour vivre. Donc la santé des végétaux en surface dépend de la qualité des sols, car ceux-ci sont des réservoirs de nutriments. Après être remontées à la surface grâce aux mouvements géologiques, l’argile est transportée par l’eau.
Lors de la saison des pluies, des rivières éphémères se créent et participent au transport de l’argile dans les écosystèmes. Sur un sol compact et très sec, l’eau n’a pas le temps de pénétrer dans le sol, et la rivière coule donc très rapidement. Arrivée dans une région où il y a des dunes, l’eau est absorbée dans le sable, et l’argile s’accumule à la surface. Elle prend la forme de plaques épaisse de quelques centimètres. Ce transport d’argile par les rivières éphémères conduit donc à la formation d’un stock de minéraux. Si les conditions étaient réunies, il serait utile au développement de la vie.
Lors de la saison plus sèche, les plaques d’argile sèchent (et craquèlent, c’est le même principe que le tressaillage !). Le vent puissant du désert détache les feuillets, qui s’envolent en planant car ils sont plats et légers. Ils peuvent parcourir jusqu’à 800 km ! En particulier, l’argile voyage par le vent jusqu’aux océans, où elle se dépose. En apportant des minéraux comme le fer, dont les océans sont déficients, elle stimule réellement le développement des micro-organismes marins (algues, plancton) … qui sont à la base de la chaîne alimentaire !
On estime que 27 millions de tonnes de poussières d’argile traversent l’océan Atlantique chaque année (soit le poids de tous les Européens réunis, quand même !). Les minéraux apportés participent à la fertilisation de la forêt amazonienne. Certains animaux complètent même leur alimentation avec de l’argile, pour profiter des minéraux qui y sont présents !
Les termites construisent leur nid dans l’argile, qu’ils vont trouver jusqu’à 30-40 mètres sous la surface. Ensemble, elles peuvent déplacer jusqu’à 200 kg d’argile chaque jour. Les termites utilisent l’argile pour construire leurs monticules et exploitent ses propriétés : elles conçoivent des structures complexes, qui permettent par exemple un bon renouvellement de l’air. La construction des termitières amène à la surface des minéraux comme le phosphore qui sont rares dans l’environnement alentour. Ainsi, les éléphants mangent la terre pour compléter leur apport en phosphore. Les Hommes aussi exploitent ces monticules : les femmes himbas s’approvisionnent en argile au pied de ces termitières. Elle leur sert à construire leurs maisons, ou à compléter leurs besoins en minéraux lorsqu’elles sont enceintes. C’est aussi l’un des rôles de l’argile dans les écosystèmes.
L’industrie de la brique fait vivre des centaines de familles depuis des siècles. Le contremaître briquetier a des propos forts : « La brique, c’est presque comme mon cordon ombilical, c’est elle qui maintient ma famille en vie ». Pour éviter que les briques ne craquèlent en séchant au soleil, il ajoute des matières organiques et du sable à son argile, qui font en fait office de dégraissant. Cet homme explique bien en quoi l’argile est ce qui permis l’Homme de se développer, en construisant des maisons, des usines : c’est aujourd’hui le fondement de leur économie. Le proverbe local est « L’argile, c’est de l’argent. L’argent, c’est de l’argile ». Dans cette région, l’argile est donc vue sous un angle économique, comme un facteur de développement. Même s’il y a beaucoup d’affect dans ce qu’il dit : l’argile, c’est pour lui des souvenirs d’enfance, c’est son métier, c’est toute sa vie.
L’argile, c’est aussi le support de développements futurs. Un chercheur est convaincu que les argiles pourraient être la solution à la pollution par les nitrates. De par leur grande surface spécifique, elles ont en effet le pouvoir de capter les nitrates, qui, par l’ajout d’un polymère, s’adsorbent à leur surface. C’est tout l’art de mettre à profit les caractéristiques naturelles d’un matériau pour un usage nouveau. On verra ce que ça donne !
Ainsi, il y a un cycle de l’argile dans les écosystèmes. Provenant de l’altération de la roche-mère, avec le concours des végétaux, elle constitue un stock de minéraux pour les plantes. Les animaux aussi s’en servent, que ce soit pour se cacher, compléter leurs apports nutritionnels ou y habiter. Transportée par l’eau et le vent, l’argile termine son périple dans les océans.
C’est donc un matériau qui paraît insignifiant, sale et boueux au premier abord, mais dont l’utilisation par les Hommes revêt souvent un caractère sacré. Ceux qui la côtoient créent un lien fort avec elle, et ce d’autant plus que la société est proche de la Nature, j’ai l’impression. Alors, qu’attendons-nous pour voir en elle toute sa valeur ?
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