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Le tressaillage (« crazing » en anglais) correspond à l’apparition d’un réseau de craquelures dans l’épaisseur de l’émail. Il peut être recherché pour ses qualités esthétiques qui donnent un aspect vieilli à la poterie. Expliquons simplement les processus mécaniques qui sont à l’œuvre.
Le tesson et l’émail, en montant en température, vont se dilater, puis se rétracter lors du refroidissement. Selon leur composition chimique, cette dilatation sera plus ou moins importante et peut être mesurée à l’aide du coefficient de dilatation α. Pour cela, on prend une barre du matériau à tester, qu’on mesure avant de la chauffer.
On a ΔL = α L₀ ΔT avec ΔL la différence de longueur entre le début et la fin de l’échauffement, α le coefficient de dilatation thermique linéaire (propre à chaque matériau), L₀ la longueur initiale de la barre, et ΔT la différence de température constatée lors de l’échauffement. Cela signifie que la dilatation thermique dépend de chaque matériau, et qu’elle est proportionnelle à l’élévation de température appliquée (car ΔL / L₀ = α ΔT ), jusqu’à un certain point au moins.
Ainsi, le tesson et l’émail étant deux matériaux différents, leur coefficient de dilatation thermique α est lui aussi différent. Lorsqu’on émaille un tesson, l’émail cru a la même « longueur » que le tesson, puisque celui-ci est posé dessus. Mais lors de la montée en température, ces deux matériaux se dilatent dans des proportions différentes, ce qui va causer des défauts comme le tressaillage ou l’écaillage.
En effet, l’émail et le tesson sont soudés, ils ne forment qu’une entité : la dilatation de l’un impacte celle de l’autre.
Pour que l’émail ne présente aucun défaut, il faut qu’après la cuisson, ces deux matériaux continuent à ne former qu’une seule entité. Cela implique notamment qu’ils fassent la même longueur. Si on prend l’exemple d’un arc, la corde est plus courte que la branche, c’est pour cela que celle-ci est courbée : tout en ne formant qu’un seul objet, ces deux matériaux (la corde et le bois de la branche) ne peuvent pas former qu’une seule entité, car ayant des longueurs différentes, ils ne sont pas au même endroit de l’espace. La corde, plus courte, crée une contrainte interne dans l’objet, elle est en traction : si on la scie un peu, la fente ainsi créée va s’élargir et la corde va casser.
Ainsi, le tressaillage est souvent du à une trop grande différence de coefficient de dilatation entre la terre et l’émail. Si le coefficient de dilatation de l’émail est trop supérieur à celui de la terre, il y aura tressaillage. En effet, lors de la montée en température, l’émail se dilatera plus que le tesson, donc prendra plus de volume et sera en compression. En effet, comme il reste accroché au tesson, celui-ci le force à ne pas trop se dilater, donc l’émail ne peut pas se dilater autant qu’il le ferait s’il était libre, il est donc en compression. Cela n’est pas gênant car la plupart des matériaux sont plus résistants à la compression qu’à la traction.
Ensuite, lors du refroidissement, l’émail (de coefficient de dilatation élevé dans notre exemple) se rétractera plus que le tesson. Ainsi, il prendra moins de volume et étant accroché au tesson, il doit garder la même taille que lui donc sera en traction : le tesson force l’émail à s’allonger un peu plus qu’il ne le ferait s’il était libre. C’est cette contrainte interne de traction qui crée une fente, qui va s’agrandir comme dans l’exemple de la corde de l’arc, elle aussi en traction.
La courbe de dilatation d’un verre selon sa température suit une évolution typique, représentée par la figure ci-dessous.
> La température de transition vitreuse Tg est la température au-dessus de laquelle le verre solide devient visqueux, lors de la montée en température. Cette transition a lieu lorsque la viscosité du verre est de 10¹³ Poises.
> La température de ramollissement Ts est la température à laquelle le verre s’effondre sous son propre poids.
Regardons maintenant ce qu’il se passe dans le cas de deux émaux, l’un au coefficient de dilatation plus élevé (resp. plus faible) que celui du tesson, donc qui induit un risque de tressaillage (resp. d’écaillage). Un coefficient de dilatation thermique élevé se traduit par une forte pente dans la courbe représentant l’évolution de ΔL en fonction de la température.
Sur ces courbes, on remarque notamment des zones (ronds rouges) où les courbes du tesson et de l’émail sont le plus proches. Ce sont les points d’accrochage, et ils correspondent à une température à laquelle l’émail, en franchissant sa température de transition vitreuse Tg, perd sa viscosité en refroidissant. A cette température, l’émail et le tesson ont subi une dilatation proche, donc l’émail s’accroche à celui-ci. Lors de la suite du refroidissement, les courbes s’éloignent à nouveau donc les deux couches se dilatent différemment et des contraintes internes (traction, compression) peuvent apparaître. La position du point d’accrochage va donc être crucial.
>> Par exemple, on peut essayer de placer le point d’accrochage au-dessus du point quartz (573°C). Au point d’accrochage, émail et tesson sont dilatés de manière similaire, puis en refroidissant le tesson se contracte car il passe le point quartz, ce qui met l’émail en compression et empêche le tressaillage.
– Entre 70 et 250°C, le retrait est important. Il se stabilise entre 300 et 500°.
– A 573°C, le point quartz s’accompagne d’une augmentation de volume d’environ 0,8 %. C’est le point auquel la silice cristalline se transforme en silice vitreuse en même temps qu’elle atteint son point de dilatation maximale. La quartz alpha se transforme en quartz bêta. C’est en raison de cette augmentation de volume que le point quartz doit être franchi lentement.
– A 870°C, le quartz peut devenir tridymite. Ce changement irréversible s’accompagne d’une augmentation de volume, mais qui concerne une partie seulement du quartz du tesson.
– Le maximum de retrait se situe à la vitrification complète, ie à la température de cuisson du tesson.
Dans ce diagramme, on suit l’axe des abscisses (la pression reste proche de la pression atmosphérique, tandis que la température augmente).
– A 600°C lors du refroidissement, l’émail continue de se contracter et colle au tesson par la couche intermédiaire.
– Entre 400 et 100° lors du refroidissement, il peut y avoir formation du tressaillage.
Qu’est-ce que la couche intermédiaire ?
Il est faux de penser qu’après la cuisson, le tesson et l’émail forment deux couches bien distinctes et complètement séparées. En effet, durant la cuisson et particulièrement lors de la fusion de l’émail, certains corps migrent dans l’émail (comme la silice, l’alumine, l’oxyde de fer, la chaux) alors que d’autres migrent dans le tesson (alcalis, acide borique). Les émaux fluides pénètrent dans les pores du tesson et améliorent cette interface. Une forte tension superficielle nuit à l’accrochage de la couche intermédiaire.
Le bon développement de la couche intermédiaire participe beaucoup au bon accrochage de l’émail sur le tesson, et influence donc l’apparition de tressaillage ou d’écaillage.
Le tressaillage peut avoir plusieurs effets :
> Inesthétique ou au contraire, recherché (raku) : Le réseau de fissures qui se crée dans l’émail peut être décevant sur ce n’est pas l’objectif poursuivi.
> Si l’émail a un coefficient de dilatation beaucoup plus élevé que celui du tesson, cela produit comme on l’a vu le tressaillage. Cependant, il arrive que ce soit le biscuit lui-même qui se casse en raison des tensions internes fortes que cette différence implique. On appelle cela la casse de tension. En particulier, si un objet n’est émaillé que d’un côté ; ou, pire, s’il est émaillé avec un émail tressaillant d’un côté et écaillant de l’autre. La géométrie de l’objet peut accentuer ce phénomène, car les tensions internes sont plus fortes dans les coins que sur une surface plane (ex : une assiette dont l’aile se sépare du fond, qui « claque »). Cette casse de tension peut avoir lieu dans le four, ou quelques heures après le défournement. La rupture est nette.
Pour de la faïence, qui reste poreuse après cuisson, un tressaillage naturel se produit au fil du temps et de l’utilisation. L’infiltration d’eau induit un gonflement de la terre donc engendre une contrainte de traction dans l’émail. On parle de faïençage. Ce phénomène n’a pas lieu pour de la porcelaine ou du vitreous car ceux-ci sont vitrifiés : cela est pris en compte par les industries qui fabriquent des sanitaires (lavabos, WC) !
Présentons 2 tests pour tester la résistance d’un émail au tressaillage, sur un tesson donné
– On expose la pièce émaillée à de la vapeur d’eau, qui pénètre dans le tesson et le fait gonfler. Ainsi, l’émail passe en traction et peut subir du tressaillage. On fait généralement ce processus plusieurs fois sur la même pièce, de manière cyclique (pour tester la résistance à la fatigue, peut-être ?), et sur plusieurs pièces pour pouvoir faire une moyenne.
– La méthode d’Harkort : Des éprouvettes (ie barres émaillées) d’essai sont chauffées pendant 10-15 min dans un bain de glycérine à 120°, puis on les plonge brusquement dans de l’eau à 20°C teintée. Si des fissures apparaissent, l’eau teintée y est alors entrée et cela permet de les détecter. On élève progressivement la température du bain de glycérine jusqu’à obtenir des fissures. Si on n’observe pas de fissures avec un bain de glycérine à 200°C, la sécurité est complète par rapport au tressaillage.
NB : Il faut couper les tessons dans le biscuit puis les émailler séparément, car émailler une plaque dans laquelle on coupe les tessons pourrait produire des contraintes internes indésirables, ce qui perturberait la mesure.
Source : cet excellent livre de l’Institut de Céramique Française
On fabrique des plaquettes de biscuit rectangulaires et assez fines (3 mm), qu’on émaille d’un seul côté avec l’émail dont on veut tester la compatibilité. Après cuisson, si la face émaillée est devenue concave (resp. convexe), alors l’émail est en traction (resp. compression) donc l’émail a tendance à tressailler (resp. à écailler).
On fabrique des anneaux (par coulage afin d’éviter d’introduire des tensions internes, qui perturberaient la mesure), dont on émaille la face extérieure. Après cuisson, on mesure le diamètre de l’anneau (en le faisant tourner, on retient le plus grand diamètre). Puis on fait une entaille à la scie circulaire, pour couper l’anneau en une section. On mesure à nouveau le diamètre. Si celui-ci a augmenté, c’est que l’émail était en traction donc il est tressaillant, s’il a diminué, il est écaillant.
On procède à un choc sur un tesson émaillé, et l’aspect du point d’impact donne des informations sur la tension de l’émail. S’il a tendance à tressailler, un réseau de fêlures apparaitra autour, et s’il a tendance à écailler, des cercles concentriques de formeront.
Le tressaillage et l’écaillage étant des problèmes d’accord entre terre et émail, on peut envisager des solutions concernant la terre et d’autres concernant l’émail.
Les méthodes de correction de ce défaut sont très nombreuses. Plutôt que de recopier ce qu’on peut trouver sur Internet, voici des références que vous pourrez consulter.
– cette page avec un tableau qui répond à cette problématique
– cet excellent livre de l’Institut de Céramique Française (p.224)
– cet article sur « Le bore dans les glaçures céramiques post-palisséennes », paragraphe 10
Autres sources :
– un site (en anglais) pour tout savoir sur le quartz
– ce document « Presque tout sur le quartz »
– ce site assez complet mais parfois compliqué
– cet article de Futura Sciences
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