La poterie est une alchimie

La poterie est l’art de créer des objets de ses mains. Le débutant s’arrête là, avant de découvrir tous les tenants et les aboutissants de cet artisanat. Plus qu’une pratique manuelle, la poterie est réellement un art de vivre dans la mesure où elle transforme en profondeur celui qui la pratique. Si la « philosophie de la poterie » vous intéresse, vous pouvez consulter ici un article que j’ai écrit sur la question.

L’alchimie est une science occulte du Moyen-Age, basée sur la recherche de la transmutation des métaux en or. Une vie entière ne suffirait pas pour connaître en profondeur l’alchimie, c’est un domaine très vaste. De nombreux parallèles peuvent être faits entre la poterie et l’alchimie : décryptons-les ensemble !

NB : Loin d’être experte dans ce domaine, j’insiste sur le fait que ce qui est présenté ici est un ensemble de métaphores, et non une explication a posteriori du passé par l’avenir. Je ne sais pas si poterie et alchimie sont historiquement liées, ce sont juste des parallèles !


~ Le principe de base : transformer un matériau sans intérêt en or ~

Une des recherches fondamentales en alchimie consiste à transmuter les métaux vils en or pur (transformation appelée chrysopée) ou en argent. La plupart des alchimistes n’avaient pas pour objectif de trouver une source financière illimitée, mais plutôt d’assouvir leur passion et leur connaissance des éléments naturels. Les matières premières utilisées sont très diverses, et leur rareté augmente donc au fur et à mesure des transformations. Le potier est ainsi un alchimiste dans le sens où il transforme de la boue en œuvre d’art. Il arrive à voir par-delà la boue et la voit comme un chef-d’œuvre en puissance ! Ils ont aussi en commun la spéculation : par exemple, la fabrication de nouveaux émaux nécessite d’imaginer en quoi la modification d’une recette changerait la couleur, sans pouvoir en voir l’effet immédiatement.

Les couleurs ont une importance en alchimie, et l’accomplissement du Grand Œuvre (réalisation de la pierre philosophale) passe par trois phases. L’œuvre au noir, d’abord, correspondrait à l’extraction de l’argile souterraine : c’est une étape repoussante car on s’y salit, et la terre extraite est pleine d’impuretés. Le tamisage de cette terre, le pétrissage, le passage à la boudineuse s’assimile à l’œuvre au blanc : la terre subit une purification, un lavage des impuretés et des bulles d’air. Enfin, l’œuvre au rouge a lieu dans l’athanor, le four de poterie : les ultimes transformations s’y opèrent dans le plus grand secret.

L’alchimie distingue 3 principes (le Mercure, le Soufre et le Sel) et 4 éléments (la Terre, l’Air, l’Eau et le Feu), dont les symboles sont d’ailleurs présents dans mon logo ! Comme dans la poterie, différents principes savamment dosés s’associent pour créer un matériau plus intéressant que chacun de ses constituants. Une recette d’émail est d’ailleurs basée sur ce principe : association d’éléments acides, amphotères et basiques pour créer une couche vitrifiée plus intéressante pour l’artiste que chacun des éléments de la recette.

~ Transformer la matière en se transformant soi-même ~

Au Moyen-Âge, la recherche de purification des métaux vils est liée à l’espoir de se purifier soi-même pour atteindre la perfection spirituelle, dans une démarche ascétique. Les alchimistes voient en leurs préparations chimiques bien plus que la seule substance obtenue. A leurs yeux, elle est chargée d’un sens. Cet aspect est totalement perdu dans la chimie moderne, mais était central pour les premiers alchimistes. De manière similaire, une poterie n’est pas juste un pot : c’est un reflet de l’âme de l’artiste. La production industrielle d’objets en céramique rend les contenants purement utilitaires et ils n’ont plus d’âme.

Poterie et alchimie s’inscrivent dans une démarche (consciente ou non, dans le cas de la poterie) d’une quête spirituelle, comme un parcours initiatique. On ne peut donc pas automatiser les processus alchimiques car une partie de l’énergie nécessaire à la transmutation des métaux est tirée de l’alchimiste. C’est pareil pour la céramique artisanale : la beauté est liée au fait que l’artiste y a mis son âme, ses émotions, ses sensations, à un instant donné de sa vie. J’aime ainsi beaucoup la citation suivante : « Lorsqu’on achète une œuvre d’un artiste, on achète des centaines d’heures d’échecs et d’espoirs, des mois de frustration et des moments de pure joie. On n’achète pas un objet mais un morceau de cœur, une partie de l’âme, un morceau de vie de quelqu’un d’autre » (auteur inconnu).

Carl Jung a même écrit tout un livre sur Psychologie et Alchimie, qui décrit en quoi l’alchimiste projetait dans son creuset l’image de son inconscient.

Les deux domaines soumis à notre étude ont aussi en commun d’être très dépendants de paramètres extérieurs : influence des saisons, de la position des astres etc en alchimie, et humidité dans l’atelier, température extérieure, en poterie. L’opérateur est soumis à son environnement, pas dans un sens avilissant mais plutôt dans le sens où il est possible de profiter de conditions extérieures favorables pour transmuter la matière encore plus efficacement !

~ La nécessité d’interpréter ~

L’alchimie est lié de près à la représentation. Elle utilise un langage pictural qui doit être interprété. Les couleurs, les images, les objets représentés sont ainsi porteurs d’un sens. Par exemple, chacun des quatre éléments est représenté par un symbole, dont le sens n’est pas du tout pensé au hasard ! « Les éléments chimiques fondamentaux, selon Aristote, sont des triangles. Le feu monte (pointe vers le haut). Veau tombe et s’infiltre dans le sol (pointe vers le bas). L’air monte, mais il est plus lourd froid que chaud : c’est donc le feu surchargé d’une barre. La terre, dans laquelle pénètre l’eau, est l’eau immobilisée par une barre. » (source) De même, chaque potier invente ses propres métaphores illustrées, dont il est parfois le seul à connaître le secret. C’est le principe même de tout art !

En France, l’alchimie tombe en désuétude en 1730, mais reprend un essor inattendu au XVIIIe siècle. Carl Jung s’y intéresse grâce à ses propres rêves . En alchimie, les rêves sont constitués de symboles mystérieux dont le sens nous est inconnu, car sont reflets de notre inconscient, mais ils ont une interprétation en alchimie. Je ne vais pas entrer dans des considérations psychologiques aussi poussées ici, sinon on n’est pas sortis de l’auberge !

~ Le caractère secret ~

L’alchimie a un caractère secret : transmuter le plomb en or n’est pas à la portée de tout le monde ! Les textes décrivant les processus alchimiques sont très compliqués : ils sont écrits de manière très alambiquée et imagée, pour les rendre inaccessibles aux profanes. C’est donc volontaire, pour restreindre leur accès à ceux qui ont une expérience suffisante pour en faire bon usage. De même, il me semble que la poterie est enrobée d’un voile que les plus experts sont réticents à lever. Depuis le temps que cet art existe, au vu du nombre de personnes qui se sont penchées sur la question, il semble étonnant que certaines techniques soient encore aussi difficiles à reproduire ! Je pense notamment aux émaux à cristallisations, à la recherche d’émaux en général, aux cuissons à gaz … Généralement, pour des questions économiques évidentes mais aussi peut-être par principe, les grands potiers ne partagent pas leurs secrets de fabrication avec le premier venu, et les transmettent parfois dans leur vieillesse, regrettant que leurs découvertes partent avec eux. Chacun doit se faire sa propre expérience, en se basant sur des écrits mais surtout sur son intuition, un peu comme en alchimie. Je ne sais pas si cette sensation est partagée par d’autres, vous pourrez donc me donner votre impression dans les commentaires !

~ L’implantation dans différentes villes ~

Bourges et Prague sont des villes connues pour avoir été des hauts-lieux de l’alchimie en Europe. Arcimboldo, l’artiste des portraits en fruits et légumes, a par exemple un lien avec l’alchimie à Prague. Concernant la poterie, il y a aussi des hauts-lieux en France, comme Apt, Anvers, La Borne, Sant Quentin La Poterie, Vallauris, Dieulefit, et j’en passe.

La différence régionale des pratiques est marquée autant en alchimie qu’en poterie (même si on pourrait dire que c’est le cas pour toute activité…). L’alchimie orientale vise principalement à atteindre l’immortalité par la purification de l’âme, tandis que l’alchimie occidentale travaille à transformer le plomb en or. En Asie, les potiers droitiers tournent dans le sens horaire et pensent leur pot par l’intérieur, alors que les Européens préfèrent le sens trigonométrique et pensent leur pot de l’extérieur.

~ Deux activités au service d’autres domaines ~

L’alchimie et la poterie, activités artistiques, peuvent trouver des applications appartenant au domaine scientifique. Paracels met par exemple l’alchimie au service de la médecine. La céramique technique trouve des applications industrielles, et est aussi au service d’autres domaines, tels que le biomédical, le spatial, etc. Le lien entre science et art est plus ténu qu’il n’y paraît, et c’est tant mieux !


Sources

– ce livre en ligne (cherchez « Jung » avec ctrl+F pour le lien avec l’inconscient !)

– cet écrit sur les signes alchimiques

– cette page, plus accessible pour avoir une vision globale

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